Jean-Michel Planche se délecte de nager à contre-courant. Ce serait même l’un de ses secrets de réussiteRien que ses bureaux situés au cœur de la Défense en témoignent. Contrairement aux autres, sa société jouit d’un développement horizontal et non vertical – les bureaux s’étalant sur un même palier sur deux bâtiments – et elle est dans la seule tour dotée de seulement sept étages mais malgré tout soumises aux mêmes consignes de sécurité qu’une tour de 50 étages. A 44 ans, s’il en est là où il est aujourd’hui, c’est en parfait autodidacte qu’il y est arrivé. Dès l’âge de 12 ans, il commence à bidouiller sur son TRS 80, et à inventer des programmes. A cette époque, la micro-informatique est à ses prémices. « Un humain normal sans faire d’étude et avec un peu de curiosité pouvait maîtriser les 100% de la capacité d’une machine, insiste Jean-Michel Planche. Aujourd’hui c’est beaucoup plus difficile. Les machines et les systèmes sont devenus bien trop complexes. » Sa fascination pour la micro-informatique est telle qu’il y consacre toute son énergie, plutôt qu’à réussir de brillantes études. A 17 ans, il conçoit pour Karl Lagarfeld un progiciel de gestion commerciale et en 1989 créé sa première société Apysoft. Il se rend rapidement compte qu’il n’y a pas de logiciel permettant de créer d’autres logiciels. « A chaque fois, il fallait réinventer la gestion d’écran, de base de données. D’où l’idée de développer un générateur de logiciels, un atelier de génie logiciel, comme on disait à l’époque. » Assez vite, Jean-Michel Planche fait des choix de passion, qui s’avèrent être des choix anti-économiques : Unix au départ alors qu’à cette époque on ne jurait que par Novell ou Microsoft. De là née une deuxième activité : Wimsea, l’un des premiers NeXT Center en France. C’est alors, qu’il fait la découverte d’Internet et envoie ses premiers courriers électroniques pour échanger avec les américains. Pour lui, c’est une évidence : le jour où les entreprises comprendront la puissance d’Internet, elles auront besoin d’un opérateur de qualité. A partir de là, il n’aura de cesse de vouloir créer non pas un Internet provider mais un Next Generation Telco : un véritable opérateur de services de télécommunications et non seulement de télécommunication « J’étais fasciné par la puissance de transformation que portaient les protocoles issus de l’Internet. » En 1990, à une époque où la plupart se dirigent vers le Minitel ou l’X400, Jean-Michel Planche continue de suivre ses passions, ses envies plutôt que ce que dicte le marché. La démarche s’avère encore une fois payante. Cinq ans plus tard, Oléane est devenu un poids lourd de l’Internet français, s’arrogeant en 1998 le deuxième rang des FAI français. C’est cette année là, que Jean-Michel Planche cède aux avances du leader devenant « l’Internet Entreprise » du groupe France Télécom. Renouvelé dans ses fonctions, il y reste deux ans, avant de donner sa démission en septembre 1999. Il fonde alors Tancred Venture un fonds d’investissement, faisant office d’incubateur. « Je n’avais pas envie de me relancer dans la création d’entreprise et en prendre pour dix ans … Je préférais aider des gens à le faire et participer à plusieurs projets, tant le champ des possibles est grand avec l’irruption de l’Internet dans notre vie de tous les jours.» Avec ce fonds, il participera aux financements de sociétés comme Algety Telecom ou NetCentrex. Mais très vite, il comprend que cette nouvelle activité s’apparente à celle d’investisseur professionnel et que c’est un véritable métier, très différent de celui d’entrepreneur. Le désir d’entreprendre est le plus fort et Jean-Michel Planche récidive. Après Oléane, c’est donc à la société Witbe, incubée par Tancred Venture qu’il se consacre corps et âme. Autre vision, autre challenge : avec l’adoption massive des technologies issues de l’Internet, les professionnels auront besoin de nouveaux systèmes de supervision et de monitoring. « A l’époque d’Oléane, nous avions des concurrents qui disaient à nos clients qu’ils étaient deux fois plus performants et beaucoup moins cher. Mais comment fait-on pour le prouver ? J’aurais aimé avoir un système qui puisse prouver ce qui était avancé, qui puisse nous prévenir en cas de pannes, avant que les clients ne le fassent. » Witbe qui signifie « Who Is The BEst », n’est ni plus ni moins que la technologie dont il rêvait d’avoir lorsqu’il était opérateur. Pendant cinq ans, Jean-Michel Planche investira pour évangéliser sur cette notion de qualité, passant la plupart de son temps en R&D. Pas moins de 14 millions d’euros seront levés. Là encore l’entreprenaute sait se démarquer des autres. Alors que des sociétés comme IBM, HP, ou Compuware viennent de l’infrastructure et par conséquent proposent des solutions network centric, lui vient du monde opérateur et « pense » user centric. Son diagnostic est simple : « D’habitude les technologies sont orientées cause de dysfonctionnement vers conséquences. Sauf qu’il y a beaucoup plus de causes que de conséquences et que toutes les conséquences ne se devinent pas à partir des causes et pire encore, que toutes les causes n’ont pas forcement de conséquences.. Si l’on s’intéresse à la disponibilité d’un service, on a alors qu’une seule conséquence (ça marche ou ça marche pas), par contre on a une multitude de causes. Si nous sommes orientés conséquence nous serons plus exhaustif et nous irons plus vite pour appréhender les problèmes. C’est la démarche logique d’un utilisateur final. » Aujourd’hui, Jean-Michel Planche semble avoir remporté son pari. Créer une technologie leader depuis la France mais capable d’exécuter à large échelle à l’international aussi bien sur pour des infrastructures et Internet qu’ Intranet, Internet, pour la téléphonie classique ou la VOIP que pour la télévision, la vidéo à la demande ou la monétique. Malgré tout, en 2003, face à la morosité du marché et la sinistrose en France, l’entrepreneur est à deux doigts d’émigrer aux Etats-Unis. Mais une prise de conscience l’en dissuade. « J’avais envie de démontrer qu’il était encore possible d’entreprendre en France, en ayant des visées internationales. C’était important pour nos enfants, mais aussi par respect en la mémoire de nos grands parents qui ont fait de la France LE pays de la culture, de l’entreprise, des défis technologiques, scientifiques et humains au début du XXième siècle. » Dans une troisième vie, Jean-Michel Planche aimerait s’intéresser aux services et aux usages. « Internet est porteur d’énormément de valeur mais nous n’avons pas du tout adressé correctement les besoins de la famille. A l’heure où l’on parle des NTIC, il est peut-être temps de s’intéresser au C, à la communication car pour ce qui est du I on est sur saturé. » En attendant, Jean-Michel Planche aime jouer les trublions. Loi Hadopi, cloud computing autant de sujets dont il polémique sur son blog. (www.jmp.net) A l’entendre la vraie révolution du 21ième siècle n’est pas le cloud computing mais « le logiciel connecté ». Et les solutions Canada-dry (ça en a la couleur, ça ressemble mais ça n’en est pas), qui ressemblent plus à un Minitel 2.0 qu’à un véritable service utilisant toute la puissance de l’Internet et qui respectent l’utilisateur final, l’agacent au plus haut point. « Par l’abaissement des barrières à l’entrée, ces solutions endorment les utilisateurs et capturent ‘leurs capacités d’innovation, le ur temps, leurs données, leur vie numérique. Mais se faisant, on ne fait qu’augmenter comme jamais les barrières à la sortie. Quid des conditions de réversabilité ? Quid de ma capacité à héb
erger moi même les services que je créé et à les faire évoluer comme bon il me semble ? » Derrière chacun de ses coups de gueule se cache en réalité un vrai combat pour que l’Internet reste ouvert, neutre, libre et interopérable. Et rien ne l’énerve plus que ces experts qui prônent une technologie après tout le monde, pour des raisons bassement matériels en faisant croire en la découverte du Graal. Son proverbe fétiche : « lorsque le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. » Lui dit aimer les visionnaires. Pas étonnant que Einstein, soit l’un de ses maîtres à penser. « Il disait ‘il y a un problème, je l’escamote et il n’y a plus de problème’. Si vous essayez de raisonner comme tout le monde, vous trouverez les mêmes solutions. Si vous pensez différement en ne vous focalisant pas sur le problème sur lequel tout le monde butte, , vous allez fatalement voir des choses que les autres ne voient pas. »
Sandrine Tournigand