Moins cher, de qualité égale voire meilleure et le recours à une main d’œuvre plus flexible, les partisans du développement de logiciels en off shore n’en finissent pas d’égrener les qualités de leurs prestations favorites. Les pays les plus en pointe sur la prestation seraient le Maroc, la Pologne et la Roumanie pour les pays à fuseau horaire équivalent au notre, l’Inde, la Chine et le Vietnam pour les plus éloignés. Il est vrai que selon les pays le Taux Journalier Moyen est jusqu’à 6 fois moins cher qu’en France : la globalisation n’est pas seulement la concurrence de systèmes économiques, mais aussi la concurrence des systèmes sociaux. Il est également vrai que les systèmes éducatifs des pays communistes ou ex-communistes ont produit des ingénieurs de grande qualité alors qu’un pays comme l’Inde a plutôt recours à de la main d’œuvre locale formée aux Etats-Unis qui a fait un retour au pays : la qualité est donc bien là. Il est vrai enfin que le recours à cette sous-traitance délocalisée présente, comme toute sous-traitance, une flexibilité supérieure à l’internalisation des ressources, notamment dans un pays comme la France. Le recours en urgence à des équipes travaillant bien au-delà de nos 35 heures hebdomadaires ou la faculté de se séparer des équipes étrangères sans être soumis aux délais de préavis du droit du travail français, plaident sans conteste pour cette qualité de flexibilité.
Du côté des inconvénients, le recours au off shore logiciel, c’est tout d’abord une certaine perte du savoir-faire de l’entreprise. Ensuite, les avantages pour lesquels les entreprises recourent au off shore n’auront peut-être qu’un temps : c’est une évidence pour les pays de la zone Europe, en particulier ceux entrant dans l’Union Européenne. Déjà, sur les dernières années, les salaires de ces pays ont largement progressé, le niveau de vie avec, la législation sociale avec ses rigidités tend à se mettre en place etc. … Pour les pays les plus éloignés, la gestion de fuseaux horaire différents est une contrainte qui n’est pas mineure à gérer. Elle peut avoir des conséquences sur la réactivité des équipes au travail, lorsqu’il s’agit par exemple d’éliminer un bogue en urgence. La barrière de la langue et de la culture doit aussi être surmontée.
Enfin, le off shore dans le domaine du développement du logiciel, est une prise de risque sur le plan de la propriété intellectuelle pour l’entreprise. En droit français, depuis 1986, le logiciel est protégé au titre du droit d’auteur. Il devient ainsi un actif important de l’entreprise. Pour certaines mêmes, c’est avec les hommes, l’actif clef. Pour s’approprier le logiciel en réalisation, en France comme dans la plupart des pays européens, les règles sont claires. Soit le logiciel est créé par un salarié de l’entreprise qui agit dans le cadre de ses fonctions ou d’après les instructions de son employeur, et dans le silence de son contrat de travail ou en l’absence d’une clause contraire, les droits de propriété sont légalement et automatiquement dévolus à son employeur. Soit, l’entreprise recourt à des tiers (sous-traitant, travailleur intérimaire, salarié mis à disposition [régie] etc. …) et dès lors, même si elle finance 100% la création, elle ne deviendra propriétaire qu’à la condition expresse qu’un contrat écrit lui transfert les droits nés sur le logiciel créé. Dans le cadre du off shore, il ne peut être exclu que le droit local à l’entreprise off shore impose des solutions différentes qui font échapper la propriété du logiciel créé au client. Dès lors, l’entreprise cliente court le risque d’entrer dans un imbroglio juridique qui fasse perdre à la solution du off shore tous les avantages économiques qui l’avaient décidé à y recourir.
Le second problème concerne la contrefaçon ou le piratage. Il n’est en effet pas exclu que l’entreprise cliente voit revenir « son produit logiciel » ou un clone sur ses marchés et sous une autre marque et parfois même avec des améliorations sensibles. Pour éviter ce type de risque, le contrat n’est que de peu d’utilité. L’entreprise off shore peut prendre quantité d’engagements par écrit, mais elle peut elle-même être victime d’un salarié indélicat, d’un concurrent zélé ou plus simplement agir de mauvaise foi. Toutes les garanties qu’elle pourra donner ont peu de valeur. Même à faire désigner un Tribunal français, il faudra ensuite exécuter le jugement dans un pays étranger, ce qui est une seconde procédure parfois aléatoire et souvent très coûteuse. Le recours à l’Arbitrage international quant à lui, représente un coût exorbitant : c’est aussi une procédure longue et, comme tout contentieux, qui présente des aléas. La seule façon de gérer le risque consiste ici à recourir à un processus qui aboutisse à ne donner à l’entreprise d’off shore qu’une compétence très partielle l’empêchant ensuite de développer, sur la base des seuls travaux d’off shore confiés, un produit complet. En clair, cela signifie que l’entreprise d’off shore ne procèdera qu’à des travaux très partiels, sous surveillance continue et avec l’obligation du retour systématique du code source à l’entreprise cliente. Cependant, dans ce cas, les principaux avantages annoncés du off shore sont amoindris voire perdus.
Au final, le recours au off shore logiciel doit être préalablement et minutieusement mesuré. Les avantages ne sont pas systématiques ou aussi évidents qu’ils n’y paraissent dès l’abord. Surtout, les risques juridiques sont bien réels. A y regarder de près, le off shore et ses avantages pourraient se trouver à nos portes loin de nos grands centres urbains. On y trouve là des équipes parfois très motivées, d’excellentes qualités et, du fait de niveaux de vie différents, à des coûts inférieurs à ceux pratiqués à Paris ou Lyon. Le « off shoring » à Grenoble, à Toulouse ou d’ailleurs en Europe : pourquoi pas ?