Contrat du Cloud Computing, mais qui est consommateur, qui est professionnel ?

La question en droit français et européen, de savoir si le professionnel du cloud computing qui passe avec une personne, contracte avec un professionnel ou un consommateur, n’est pas une question neutre ni simple. 
L’enjeu est de taille. Si la personne est qualifiée de consommateur, alors on lui applique toute la réglementation protectrice relative au contrat à distance incluse dans le code de la consommation[1], notamment le fameux droit de rétractation de sept jours qui permet à tout consommateur d’annuler un contrat durant ce délai sans frais. On risque d’ajouter à ces dispositions celles, si le contrat est conclu en ligne, insérées au code civil relatives au contrat conclu sous forme électronique aux articles 1369-4 et suivants. A l’inverse, si le co contractant est qualifié de professionnel, le contrat est à peu près écrit librement et ce sont les stipulations de l’accord qui feront la Loi des parties.

Or, aussi surprenant que cela puisse paraître la question de savoir qui est professionnel, qui est consommateur, n’est pas fixé dans la Loi. Depuis 20 ans, c’est la jurisprudence qui fixe les critères. De plus, cette jurisprudence a évolué ces dernières années.

Dans un premier temps[2],dans une affaire rendue au profit d’un agent immobilier acquéreur d’un système d’alarme pour protéger ses locaux contre le vol, la Cour de Cassation a considéré qu’il avait agi comme non professionnel car profane dans le domaine des systèmes d’alarmes. La Cour de Cassation estimait que la protection de la loi consumériste s’étendait aux professionnels ayant agi en dehors de leur sphère habituelle d’activité et de compétence. Elle estimait que le contrat qu’il avait conclu échappait « à sa compétence professionnelle », et que, pour cette raison, il se trouvait « dans le même état d’ignorance que n’importe quel autre consommateur ». Ainsi, par application de cette jurisprudence, on pouvait considérer que toute entreprise qui n’avait pas la spécialité informatique devait dans le cas d’un contrat de Cloud Computing, bénéficier de la même protection que le consommateur. Ainsi, selon cette jurisprudence toujours, une société ayant conclu un contrat de maintenance pour un matériel téléphonique et qui était un « professionnel de l’informatique, de la télématique et de la bureautique est parfaitement en mesure d’apprécier la technique mise en œuvre par la société Abonnement téléphonique[3] ». Mais cette approche semble avoir été abandonnée par la jurisprudence.La Cour de Cassation dans un arrêt du 24 novembre 1993 [4]est revenue sur cette assimilation du professionnel profane au consommateur et a dès lors restreint le champs d’application du droit de la consommation aux seuls actes extérieurs à l’activité professionnelle. La Haute Juridiction a estimé que les dispositions protectrices du consommateur « ne s’appliquent pas aux contrats de fourniture de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant ». Ainsi, les juges [5], ont pu conclure à l’existence d’un “ rapport direct ” du seul fait que le matériel acheté ou livré était destiné à la surveillance des locaux à caractère professionnel dans lesquels étaient stockés les marchandises et produits du cocontractant[6]. L’existence du “ rapport direct ” avec l’activité économique a également pu être retenue lorsque l’opération a été réalisée pour les besoins de la profession[7]. La Cour d’Appel de COLMAR dans un arrêt en date du 11 avril 2006 a retenu l’existence d’un rapport direct pour un contrat de création d’un site web marchand pour un antiquaire[8].

Les juges ont donc semble-t-il opté pour une appréciation objective de la vulnérabilité du professionnel, estimant que, même parfaitement ignorant dans le domaine de la transaction, ce dernier parce que contractant pour des besoins professionnels, ne pouvait se voir qualifier de consommateur. Il sera donc de l’intérêt du professionnel du Cloud Computing d’insérer à son contrat, d’une part, une déclaration de l’utilisateur rappelant qu’il contracte pour les besoins de son activité professionnelle, et d’autre part, une description rapide mais qui semble nécessaire, de l’usage professionnel qu’il fera du service concédé


[1] Articles L 121-16 et suivants du code de la consommation

[2]Cass. civ. 1re, 28 avril 1987, Bull. civ. I, n° 134 ; D. 1987.Somm.455, obs. Aubert ; D. 1988.1, note Delebecque ; JCP 1987.II.20893, note Paisant ; RTD civ.1987.537, obs. Mestre.

[3] Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 2e chambre, 10 novembre 1989, Bull. Aix 1989, n°2, p. 2, RTD civ. 1990, p. 475, obs. J. Mestre, Lamy Droit économique.

[4] Arrêt de la Cour de Cassation 1ère ch civile du 24 novembre 1993 n°91-17.753

 [5] Arrêt de la Cour d’Appel de Rennes, 1ère chambre, 18 janvier 2002, SA CIPE France, Juris-Data n°2002-170867

[6] “ le contrat d’abonnement litigieux ayant pour objet la protection du cabinet médical, dans lequel le client exerce son activité, a un rapport direct avec son activité professionnelle, en sorte que la législation sur la clause abusive ne lui est pas applicable. ”

[7] Arrêt  de la Cour d’Appel d’Aix en Provence, 2ème ch.com., 20 juin 2001, Juris-Data n° 2001-148710

[8] Dalloz sous L 132-1 du code de la consommation

 


 

 


 

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