La localisation des datacenters est-elle encore un sujet d’actualité à l’heure du cloud et de ses promesses ? Paradoxalement, plus que jamais. Cette question vaut d’être posée, les enjeux territoriaux induits par les centres de données étant à la fois économiques, juridiques et commerciaux.
Qui s’intéresse à la localisation de la centrale EDF qui li fournit son électricité ? Personne. Mais pou l’IT, les réseaux et les télécoms, la réalité est tout autre. La complexité technique, la confidentialité et la sécurité des données, mais aussi les mauvaises expériences dans le domaine de l’outsourcing imposent de vérifier la matérialité des environnements et des services proposés. De fait, les managers et informaticiens ne veulent plus se contenter de voir le « nuage ». Ils entendent contrôler la réalité des prestations offertes. Par exemple : visiter le data center, s’assurer de la sécurité d’accès au site et aux locaux, vérifier les armoires qui contiennent les racks, voir le local ou la salle dédiée. Ils souhaitent également obtenir des précisions sur l’organisation interne des centres de production conçus pour piloter et gérer les moyens, et vérifier la capacité à fournir ces fameux managed services. Enfin, tous veulent s’assurer de la capacité du prestataire à garantir un secours informatique efficace entre les sites, en cas d’incident ou de sinistre.
Faut-il posséder ou suffit-il de maîtriser ?
Ce besoin de matérialité, déjà identifié dans les débuts de l’infogérance, illustre l’éternelle controverse philosophique entre la maîtrise et la possession. Les responsables IT, régulièrement confrontés à des effets d’annonces marketing quelques fois très au-delà de la réalité des offres, sont devenus méfiants. Il est donc important de valider l’organisation du prestataire, ses processus et ses méthodes. Il faut aussi savoir observer sa capacité d’anticipation, de mobilisation des équipes, de réaction pour prendre en compte et résoudre les difficultés. Autre argument en faveur de l’accessibilité aux centres de données : l’offshoring des services n’a pas une bonne image. Ce phénomène s’est encore accentué avec la crise actuelle. D’où un intérêt croissant pour les solutions locales ou nearshore réalisées sur le territoire national ou en Europe. À ce propos, pourquoi ne pas créer des labels du type « Data center localisé en France », ou « Cloud produit en France » ? Les cloud souverains sont aussi une réponse à cette logique de localisation, qui offre de bonnes garanties d’accès et de sécurité. Or, il faut savoir que la France dispose d’une grande concentration de data centers. On estime qu’il y en aurait plus de 130, un nombre qui devrait sensiblement progresser dans les prochaines années.
Le faible coût de l’électricité, un atout numérique national
Le cloud va ainsi créer des besoins très importants en puissance de calcul et en capacité de stockage pour satisfaire la croissance exponentielle des volumes de données. D’où des besoins supplémentaires en courant fort et en climatisation. Or, la France se situe à la troisième place européenne pour le coût du MWh en entreprise. Un argument majeur de compétitivité pour l’implantation des centres de données sur le territoire national. Sur le terrain, il est clair que cette problématique de localisation intéressera surtout les grandes organisations et leurs filiales intervenant sur des solutions de cloud privé hébergé ou communautaire, que ce soit en mode IaaS, PaaS ou SaaS. En revanche, c’est sans doute moins vrai pour le cloud public. Enfin, il faut signaler le sujet toujours brûlant des données personnelles. Ce thème, récurrent depuis la fin des années 70 (on pense au rapport Nora-Minc) est d’autant plus d’actualité que ces informations doivent absolument rester dans le cadre de l’UE : c’est même l’article 226-22-1 du Code pénal. Et ce sous peine de 5 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. De même, on sait que le Patriot Act américain incite les entreprises à sélectionner leurs prestataires selon leur nationalité et la localisation de leurs centres, ce qui rend méfiants les clients potentiels situés de ce côté-ci de l’Atlantique. Dans ces conditions, la localisation peut-elle devenir un des critères de différenciation des offres ? En matière d’IT à la demande, il est probable que oui. Encore faut-il en débattre sérieusement, et y réfléchir sans tabou.
L’auteur, Jacques Lannefranque a consacré son parcours professionnel au secteur informatique, et plus précisément aux services à valeur ajoutée, aux progiciels et au conseil IT au niveau international. Depuis deux ans, il est à la tête de Crossbird, une société de conseil qu’il a créée pour accompagner les entreprises dans leurs projets de transformation. Ce titulaire d’un Executive MBA HEC est marié et père de deux enfants. Jacques.lannefranque@crossbird.fr
Avis d’expert initialement paru dans EDI n°25 – février 2013