Mme Laure de La Raudière est députée UMP d’Eure-et-Loir (3e circonscription), maire de Saint-Denis-des-Puits et membre titulaire du Conseil national du numérique. En Mai 2014, avec Mme Corinne Erhel, députée PS, elle a remis un rapport parlementaire sur le développement de l’économie numérique française, téléchargeable ici.
Quelle est votre analyse sur la création des deux entreprises dédiées au « cloud souverain » ?
La stratégie consistant à renforcer la filière du numérique en France est et reste nécessaire. L’Etat doit financièrement participer à cet effort en faveur d’un secteur qui apporte de la croissance, de la compétitivité et une baisse des coûts pour les entreprises.
Dans le cas de Numergy et de Cloudwatt, l’objectif était de créer une offre alternative, française et complémentaire aux offres des grands acteurs américains. Ces deux entreprises doivent apporter des réponses nouvelles en matière de protection des données, de facilité d’usage, de tarification… Si ces objectifs n’étaient pas atteints, alors on serait en droit de se demander si c’était une bonne idée.
Les parlementaires se tiennent informés. Ils ont audité à deux reprises M. Louis Galois, commissaire général à l’investissement, sur le bilan des investissements à venir, dont ceux liés aux cloud computing.
Quel est le rôle de l’Etat et des administrations en tant qu’utilisateurs ?
L’importance économique de la commande publique en France représente un levier majeur pour aider les jeunes entreprises innovantes. Je suis convaincue que l’Etat doit participer au développement des marchés innovants, par l’achat public de produits et services des start-up.
Mais cela impose un changement de culture. La commande publique est freinée par des exigences qui sont discriminantes vis-à-vis de ces entreprises innovantes : au moins trois années d’existence, présence de solutions concurrentes… Un décret est sorti la semaine dernière qui accorde une certaine liberté de manœuvre aux administrations pour passer des commandes à des entreprises innovantes. Par ailleurs, le droit européen nous incite à nous adapter. Ainsi, la loi de simplification de la vie des entreprises1 devrait accélérer l’évolution des pratiques dans le bon sens. Une ordonnance sera prise d’ici 6 mois maximum. Il faut créer les conditions d’un « Small Business Act » à la française ; il renforcera la tendance relativement récente des administrations et des collectivités à délaisser les achats au mieux disant, au profit du meilleur rapport qualité/prix.
Comment jugez-vous les actions des différents gouvernements depuis 2012 ?
Fleur Pellerin a su porter les enjeux du numérique. Axelle Lemaire vient d’arriver et on peut accorder un certain crédit au ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, sur ces questions. La difficulté pour bon nombre de responsables politiques de la majorité comme de l’opposition, est d’accepter les bouleversements économiques majeurs qu’engendre le numérique, de saisir la nouvelle réalité qui s’impose à nous tous. Un exemple récent illustre cette difficulté : la controverse sur la société de taxis Uber, accusée d’être déloyale au niveau fiscal et social par les Taxi G72 . Avec ses 11 000 taxis, le groupe G7 n’était pas en danger face à Uber. Il pouvait adapter son organisation, son modèle économique, son offre de service, sa communication commerciale pour relever le défi. Le personnel politique devrait commencer à comprendre cela.
Cela signifie-t-il que les parlementaires ne comprennent rien au numérique ? Pourtant ils ont presque tous un site Internet et semblent raffoler de Twitter ?
Il n’y a rien de contradictoire. Vous mettez entre leurs mains des outils simples et puissants qui leur permettent d’accélérer et d’améliorer leur communication. Les parlementaires sont intelligents et ont bien compris tout l’intérêt de ces vecteurs d’information. Et pourtant ils n’ont pas tous pris la mesure des transformations économiques et sociétales considérables qu’engendrent le numérique.
Plus généralement, notre société privilégie la défense et le maintien de l’existant au lieu de prévoir et s’adapter pour mieux se préparer à l’avenir. Cela appelle d’autres débats, encore plus structurants pour le pays : notre économie de la propriété est en train de passer le relais à l’économie du partage et il faut absolument que la France s’y prépare. Or, la propriété est l’un des piliers de notre constitution ! Même si la notion de fraternité implique celle du partage, on voit bien que l’on touche à un fondement de notre société, de notre culture, de notre droit.
Suivez-vous de près les 34 plans de la Nouvelle France Industrielle lancée par Arnaud Montebourg à la fin 2013 ?
Il s’agit surtout d’une opération de communication. Qui peut croire à l’efficacité d’un programme de 34 plans pour réindustrialiser la France ? Une approche plus sélective reposant sur quelques axes bien ciblés m’aurait davantage intéressée.
Quelles informations possédez-vous sur la future loi numérique ?
Ce projet de loi a été annoncé par Fleur Pellerin dès début 2013. On pouvait raisonnablement supposer qu’elle en connaissait déjà les grandes lignes. Nous sommes fin 2014 et c’est maintenant que le gouvernement par l’intermédiaire du CNN3 lance une vaste opération de consultation ? Il aurait fallu commencer par cela en 2013 ! Par ailleurs, est-il nécessaire de faire une loi ?
Il faut se tourner vers l’Europe pour avancer. Cela doit se faire au niveau des chefs de gouvernements et non par la Commission Européenne, qui semble en ce moment ne pas mesurer pleinement les enjeux économiques et sociétaux auxquels nous sommes confrontés avec l’ère du numérique. Nous devons arriver à une solution sur le volet fiscal : les entreprises non européennes qui commercialisent leurs offres sur notre continent doivent payer leurs impôts dans nos pays. Il faut également aboutir à un accord qui définirait nos exigences en matière de respect de la vie privée et de protection des données à caractère personnel. Je crois que Mme Merkel, marquée par les dernières affaires comme Prism ou Snowden, est décidée à avancer rapidement. Ce n’est pas un hasard si le nouveau commissaire européen à l’économie numérique, Günther Oettinger, est un allemand.
Quel sera votre priorité dans les prochains mois ?
Continuer à aiguillonner le gouvernement afin qu’il accélère la migration de notre économie et de notre société vers le numérique.
Parmi les sujets à la mode, on note l’importance donnée à la formation numérique des élèves, qu’en pensez-vous ?
Il est très important d’éveiller nos enfants à la programmation. Enseigner la programmation c’est fournir un outil leur permettant de comprendre leur univers. Par ailleurs, au sortir du collège, chaque élève devrait maîtriser son identité numérique et savoir créer un site Web. Car quel que soit son métier futur, il aura besoin d’exister sur Internet et de comprendre comment Internet fonctionne, non pas uniquement en tant qu’utilisateur, mais aussi en tant que producteur de contenus.
Pour finir, revenons à vos collègues. Leur difficulté à comprendre les enjeux de l’économie numérique peut-elle s’expliquer par le faible taux de renouvellement des deux assemblées ? Ne faudrait-il pas qu’elles comptent plus d’ingénieurs, comme vous ?
Les formations et les métiers d’origine des parlementaires ne sont pas un problème en soi. Je ne suis pas certaine que les écoles d’ingénieurs soient la voie royale pour faire de la politique, mais c’est un autre sujet. En revanche, je suis d’accord sur la nécessité d’augmenter le taux de renouvellement des élus. Je ne crois pas que la récente loi sur le non cumul des mandats soit la véritable solution. Je suis à la fois députée et maire d’un village de 138 habitants. Croyez-vous que ces deux mandats soient incompatibles ? Et pourtant, je vais devoir choisir entre ces deux-là. J’aurais préféré une approche moins idéologique. Je défends l’idée d’un non cumul dans le temps et non dans l’instant. Je suis favorable à un maximum de trois mandats. 15 années, c’est suffisant !
1 – Ndlr : Créera un corpus juridique unique en vue d’encadrer l’ensemble des contrats de marchés publics, sur la base de deux directives européennes adoptées le 11 février 2014 par le Conseil de l’Union européenne. Le tout pour promouvoir l’innovation et faciliter l’accès des PME aux marchés publics.
2 – Article de 01net du 2 juin 2014
3 – Conseil National du Numérique