En septembre dernier, Cloudwatt et Numergy ont soufflé leurs deux premières bougies. La Lettre du cloud a souhaité, à travers un dossier très complet, mettre cet anniversaire à profit pour tirer un premier bilan et faire le point sur ces deux années d’existence.
Mais avant tout, qu’appelle-t-on « cloud souverain » ? La réponse figure dans le chapeau de cet article, puisque seuls Cloudwatt et Numergy représentent le cloud dit souverain en France. Avant leur apparition, préexistaient bien sûr de nombreux cloud dits « français », de OVH à Ikoula en passant par Oodrive, OBS et d’autres. Mais en 2012, le projet Andromède, initié en 2009, aboutissait enfin et donnait naissance aux deux société précitées (cf. « Un bref historique des cloud souverains » pour plus de détail sur le processus de création de ces deux entités). Particularité : Numergy et Cloudwatt sont financés par l’État dans le cadre du « Grand Emprunt ». Par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations, l’État entre ainsi à hauteur de 33,3 % au capital de Cloudwatt, dont les autres actionnaires sont Orange (44,4 %) et Thales (22,2 %). Quant à Numergy, le capital se répartit entre SFR (47 %), Bull (20 %) et la Caisse des dépôts (33 %). L’État possède donc la minorité de blocage dans les deux structures.
Pourquoi l’état s’implique-t-il ?
Essentiellement, c’est pour défendre l’idée de fournir aux entreprises et administrations un cloud à la française, avec des données stockées en France et des infrastructures 100 % françaises, que l’idée a germé. Accessoirement, il s’agissait aussi de contrer les géants américains tels qu’Amazon, Google et autres IBM. Mais n’existait-il pas déjà des « cloud français », qu’il eut suffi de booster pour réaliser cet objectif ? C’est d’autant plus vrai que les actionnaires privés des deux sociétés possèdent eux-mêmes déjà une offre cloud et que ces acteurs sont également parfois financés par l’État, indirectement, via la BPI (Banque Publique d’Investissement).
Le fait est qu’instantanément, les deux entités dans lesquelles l’État a investi ont été vouées aux gémonies : les jugements sceptiques et les critiques ont fusé, les jalousies émergé. On peut le comprendre : Emmanuelle Olivié-Paul, directrice associée du cabinet d’analyse Markess, « comprend la position de quelqu’un comme Octave Klaba (fondateur et directeur général d’OVH NdlR), car on l’a un peu mis un peu en opposition, de côté, en créant des cloud souverains. Les politiques ont adopté une position consistant à dire que les cloud souverains et eux seuls avaient vocation à répondre à la nécessité d’indépendance ». Olivier Rafal, principal consultant chez Pierre Audouin Consultants (PAC) va même plus loin dans son analyse : « les cloud nationaux existaient déjà : il y a donc un défaut originel », estime-t-il.
Quels objectifs industriels ?
L’objectif initial de l’État était sans doute imprécis et pas assez clair. À tout le moins du point de vue industriel, car sur le plan politique ils l’étaient beaucoup plus : outre la création du fameux cloud « 100 % France » dans le cadre des projets liés au Grand Emprunt, également fort à propos appelé « investissements d’avenir » et le fait de bien montrer que l’État était en phase avec la transformation numérique, l’une des clés était aussi la création d’emplois.
Sur le plan industriel en revanche, la diversité des acteurs et des investisseurs fait que les objectifs ne pouvaient pas être les mêmes pour tous. Les politiques en particulier, n’étaient sans doute pas en phase avec les industriels. « Les acteurs politiques impliqués dans le montage n’ont peut-être pas compris les implications sur le plan industriel », commente Emmanuelle Olivié-Paul. « En outre, on peut douter de la création effective de nombreux emplois. À l’origine, la vision était très liée à ce que le projet allait générer en direct. Mais pas sur le long terme il faut compter avec tout l’écosystème, y compris les start-up qui vont créer de l’innovation et donc des emplois ».
Un écosystème ne se décrète pas
Difficile en effet de décider dans un bureau ministériel que les offres créées par l’État sont les plus à même de répondre aux besoins des entreprises, fussent-elles françaises. La loi du marché est là : OVH, par exemple, propose depuis des années la possibilité de définir le datacenter dans lequel le client souhaite voir héberger ses données : dans ces conditions, quelle est la valeur ajoutée des cloud souverains ?
En outre, les deux entreprises ne sont pas dans la même situation : alors que Numergy, qui espère atteindre 6 M€ de chiffre d’affaires en 2014, semble prospérer relativement dans un marché hautement concurrentiel, Cloudwatt végète beaucoup plus à la suite de ses erreurs originelles (cf. Un Cloud souverain est le résultat d’une démarche, d’une volonté). Patrick Starck, le premier PDG de Cloudatt, en a d’ailleurs fait les frais en se faisant évincer au printemps. Les difficultés de Cloudwatt sont tellement pregnantes que nombreux sont ceux, dans les couloirs des ministères, qui plaident pour une éventuelle fusion entre les deux entités. Mais, outre les problèmes techniques que cela pourrait poser et le fait que les deux principaux intéressés s’y opposent, les modalités d’une telle fusion demeurent hypothétique.
Comme souvent la vérité n’est pas manichéenne et les arguments pour ou contre ces cloud souverains sont, en fait, très contrastés. Tout au long des pages qui suivent, vous allez découvrir ce qu’est vraiment et où en est le cloud souverain, comment il s’inscrit dans le paysage du cloud en France, mais aussi les points de vue de juristes, d’experts indépendants reconnus, des témoignages ou encore d’acteurs du monde politique, qui vous permettront de vous forger votre propre opinion.