ERP dans le cloud : un état de l’art

Tous les éditeurs d’ERP ou presque proposent désormais des solutions dans le cloud. Mais sont-elles réellement cloud ? Et quel est leur degré d’adoption par les organisations, pour quels types de solutions ?

Pour répondre à la première question, il convient de revenir à la définition du cloud et en particulier à ses quatre piliers fondamentaux que sont le paiement à l’usage, la mise à disposition des ressources en libre-service (« scalability », en bon français), l’ouverture des techniques utilisées (standards ouverts) et la mutualisation (ou « multi-tenant », dans le cas du SaaS).

Définissons aussi en préambule le périmètre d’un ERP ou PGI (Progiciel de Gestion Intégré) : il s’agit d’une une solution progicielle créée par un éditeur unique, exploitant une base de données unique, transactionnelle, et couvrant fonctionnellement soit la totalité du SI de l’entreprise, soit au moins une fonction métier de cette entreprise. Ainsi, une solution de comptabilité ou de paye isolée ne pourra pas être qualifiée d’ERP. Ce sera ce qu’on appelle une solution « best-of-breed ». En revanche, un SIRH (Système d’Information de gestion des Ressources Humaines) ou un SI financier intégrant toutes les fonctionnalités de la finance, depuis la comptabilité jusqu’à l’analytique en passant par la trésorerie et les immobilisations s’approchent du PGI.

En faisant le tour des offres ERP du marché, on s’aperçoit qu’il n’existe que très peu d’offres qui répondent à l’ensemble de ces quatre critères et sont également natives cloud. On peut relever Business ByDesign de SAP, qui est apparu dès 2007 (après des efforts d’investissements en R&D tout à fait colossaux) et Netsuite, encore plus ancien mais présent depuis peu en France (cf. « Jusqu’où ira Netsuite en France ?« ). À ces solutions internationales il faut ajouter les solutions hexagonales comme Archipelia, une solution ERP nativement cloud créée par la Société Autarcia à Villeneuve d’Ascq, ou Donzat, qui propose diverses formules en SaaS, de la TPE à la grande entreprise, pour n’en citer que quelques unes.

Les autres géants internationaux ne sont pas en reste, mais leurs solutions ne répondent généralement pas exhaustivement à la définition académique du cloud et/ou ne sont pas toujours natives. Ainsi, Oracle propose-t-il ERP Cloud et Microsoft vient, bien après Dynamics CRM, de lancer une version cloud de Dynamics AX. Quant à Infor, qui est devenu le troisième éditeur d’ERP au monde après SAP et Oracle et a devancé Sage et Microsoft, son histoire est pour le moins singulière : après avoir crû par croissance externe pendant des années en rachetant des solutions apparemment faites de bric et de broc, l’éditeur a réussi à faire le lien entre toutes ses solutions grâce à son middleware, baptisé ION. Plus récemment, il a négocié un virage à 180 degrés vers le cloud (voir « Du cloud, du cloud et encore du cloud« ) et les solutions métiers dans le cloud (les Cloudsuite). Infor est sans conteste un acteur avec lequel il faut compter dans le cloud. Mais Sage, qui a eu des relations contrastées de par le passé avec le cloud même s’il clame aujourd’hui compter 1 000 clients online, n’a pas dit son dernier mot et la déclinaison cloud de son ERP destiné aux ETI, X3, est officiellement lancée ces jours-ci.

Le tissu hexagonal

Le CXP recense des dizaines et des dizaines d’ERP disponibles en France dans son annuaire. Impossible de les évoquer tous ici. Néanmoins, au-delà des quelques éditeurs majeurs cités plus haut, on peut distinguer les éditeurs européens et les éditeurs locaux. Un européen comme Unit4, par exemple, pousse de plus en plus ses solutions cloud et le suédois IFS propose son produit phare, IFS Applications, dans le cloud Azure. Mais chacun y va de sa propre acception du cloud. IFS par exemple, facture ses licences, même dans le cloud, et met en place une installation unique de sa solution pour chaque client. On est loin des définitions rappelées en introduction.

Quant aux français, Proginov, par exemple, pousse son ERP dans le cloud depuis plus de 10 ans maintenant, avec un certain succès. Et Cegid, premier éditeur de solutions de gestion français, réalise un chiffre d’affaires SaaS de 62,8 M€ annuellement et se targue d’être devenu une « usine à cloud ». Mais quand on observe ces différentes « success stories » de plus près, on s’aperçoit qu’elles ont chacune des raisons singulières d’avoir émergé. Pour Cegid, par exemple, le virage cloud n’a pu avoir lieu que grâce à la formidable base de clientèle qui préexistait et lui a permis d’investir sur ses fonds propres. Ce virage ne s’est pas fait par hasard, mais à la suite du rachat de CCMX en 2006, il y a 10 ans déjà. Cet ex-concurrent avait alors déjà mis en place des solutions hébergées et la suite n’a été que logique.

D’autres éditeurs français – les plus nombreux – comme Sylob par exemple, se contentent de proposer un hébergement externe de leurs solutions et baptisent cela « cloud » (voir « Lorsque le vélo s’appuie sur le nuage »). De son côté, Divalto propose depuis 2010 son produit Idylis, destiné aux TPE et fruit d’un rachat, lui aussi, en SaaS. À côté de cela, les autres solutions de l’éditeur sont également devenues disponibles dans le cloud, qui représente désormais 20 % du chiffre d’affaires. Et il ambitionne de porter la part du cloud à 50 % du CA d’ici trois ans. Mais les Qualiac et autres Ordirope (aujourd’hui devenue une société du groupe Gfi) ne poussent pas particulièrement leurs solutions cloud. Il faut dire que la demande n’est pas forcément au rendez-vous.

Quelle demande pour les ERP dans le cloud  ?

En réalité, les offres sont aussi diverses et répondent plus ou moins aux critères qui définissent le cloud pour la bonne raison qu’elles cherchent toutes à s’adapter aux attentes des entreprises utilisatrices, qui ont leurs spécificités en fonction du secteur d’activité. Dans l’industrie par exemple, on aime bien « avoir ses données métier chez soi » et la demande de cloud est très faible, en particulier dans les PMI. Et le niveau des développements spécifiques reste encore très élevé malgré les efforts des éditeurs. Pour un spécialiste des PME industrielles comme Sylob, cité plus haut, il n’y a tout simplement aucun intérêt à avoir une offre cloud multi-tenant et native, d’où cette offre hébergée qu’il a mise sur pied et qui manifestement donne satisfaction à certains de ses clients. Pour un éditeur international comme IFS, lui aussi très tourné vers les entreprises industrielles, la démarche est peu ou prou la même et son offre, qui s’appuie sur le cloud Azure, est aussi bien plus proche de l’hébergement que du cloud.

Si aujourd’hui tous les cahiers des charges mentionnent le cloud, ce n’est qu’une architecture parmi d’autres, mais certainement pas une finalité pour les entreprises. Et au bout du compte, il est loin de sûr que la solution adoptée passe par le cloud, en tout premier lieu pour des questions de sécurité, réelles ou subjectives. Les éditeurs se trouvent donc devant un dilemme : le mouvement vers le cloud est inéluctable, c’est un fait. Mais leurs clients ne sont pas franchement à la pointe de l’adoption de cette technologie. La tentation est donc grande pour les éditeurs de créer une offre cloud a minima. Le tout est de savoir où placer le curseur.

C’est cette situation qui fait adopter une vision plutôt pessimiste au cabinet Gartner. Mais la dernière étude du CXP à propos des ERP confirme un mouvement certes timide mais tangible vers le cloud : 14 % des installations résident sur des serveurs distants, en mode cloud, SaaS ou en hébergement dédié, et 2 % des répondants ont adopté une solution hybride. Ce mouvement semble s’opérer le plus souvent à l’occasion du remplacement d’une solution en place et ne concerne généralement qu’un pan applicatif. C’est le mouvement vers l’ERP dit post-moderne.

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